Les fondements et les objectifs du dialogue interreligieux

Lourdes, le 12 novembre 2008 -« Pourquoi l'Église catholique continue-t-elle de s'engager dans le dialogue interreligieux ? » Texte présenté par Mgr Michel SANTIER à l'Assemblée Plénière de Lourdes 4-9 novembre 2008.

Assemblée Plénière de Lourdes 4-9 novembre 2008

Conseil pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux
Président : Mgr Michel SANTIER (Créteil)
Membres : Mgr André MARCEAU (Perpignan)
Mgr Jean-Yves RIOCREUX (Pantoise)
Mgr André DUPLEIX (secrétaire)
Sr Geneviève COMEAU
P. Michel FÉDOU
M. Dennis GJJRA
P. Denis LECOMPTE . Dom Pierre MASSEIN
P. Christophe ROUCOU
Mme Jacqueline ROUGÉ
P. Bernard UGEUX


Les fondements et les objectifs du dialogue interreligieux

- Conseil pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux -

La société française est marquée par de profondes évolutions dans son paysage religieux. À travers les relations de voisinage, l'école, le travail professionnel, la participation à la vie associative, comme au niveau des instances politiques les plus élevées, les chrétiens se trouvent conduits à rencontrer d'autres croyants -juifs, musulmans, bouddhistes... Qu'ils le veuillent ou non, ils vivent de plus en plus dans des situations à la fois interculturelles et interreligieuses. C'est là une situation de fait. C'est en même temps l'occasion de réfléchir sur les fondements et les objectifs du dialogue interreligieux.

Une telle réflexion s'impose d'autant plus que nombre de chrétiens, aujourd'hui, ne perçoivent plus - ou pas encore - l'importance de ce dialogué interreligieux, et, souvent même, manifestent à son endroit de véritables craintes. Celles-ci n'émanent pas seulement de courants traditionalistes ; elles sont aussi exprimées par des chrétiens qui n'appartiennent pas à de tels courants et qui, de bonne foi, soulignent les risques ou même les dangers du dialogue interreligieux pour l'Église catholique.

Ces réactions s'expliquent notamment par l'essor de l'islam en Europe; même si l'on fait observer que l'islamisme doit être nettement distingué de l'islam et qu'il n'en représente qu'une tendance radicale et extrême, certains ont peur qu'une trop grande ouverture aux musulmans de France ou d'Europe ne se paie à moyen ou long terme : ces musulmans, objectent-ils, ne profitent-ils pas de l'accueil qui leur est fait pour s'implanter de plus en plus, au point que cette implantation puisse un jour menacer nos sociétés d'inspiration et de valeurs chrétiennes ?

Les craintes mentionnées plus haut s'expliquent aussi par des formes de relativisme qui ont gagné du terrain depuis quelques décennies : à l'heure des brassages culturels et religieux, à l'âge de la mondialisation, certains redoutent que l'engagement de l'Église catholique dans le dialogue interreligieux, si bien intentionné soit-il, ne contribue à la confusion des esprits et n'entretienne finalement l'idée que « toutes les religions se valent ».

Dans cette situation, il importe de dissiper un certain nombre de malentendus. D'une part, ce ne sont pas les religions qui dialoguent entre elles, mais des croyants. D'autre part, le dialogue ne signifie pas nécessairement « entente » ou « accord » ; il implique en tout cas que chacun puisse affirmer ce qu'il croit - pourvu que ce soit dans le respect d'autrui - ; et s'il n'a pas pour but de convertir les autres, il ne dispense pas pour autant de l'annonce de l'Évangile. Mais il importe aussi de dire ce qui, positivement, rend un tel dialogue légitime et même nécessaire. Si les chrétiens reconnaissent en Jésus-Christ la plénitude de la Révélation, ils croient en même temps que Dieu se rend présent à tout homme et désire lui communiquer sa vie ; ils savent avec l'apôtre Pierre que « Dieu ne fait pas acception de personnes, et qu'en toute nation quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui » (Ac 10,35) ; ils ne peuvent donc se désintéresser des autres croyants et doivent plutôt, autant qu'il est possible, entrer en relation avec eux.

Les pages qui suivent se proposent donc d'expliquer à nos communautés quels sont les fondements du dialogue interreligieux, et, sur cette base, de préciser les objectifs, les fruits et les conditions d'un tel dialogue.

I) Les fondements du dialogue

      1) le dialogue s'enracine d'abord dans l'expérience de tout homme
     
Le devenir de toute personne dépend en effet de sa capacité à exprimer (à travers le langage ou toute autre activité symbolique) ses expériences les plus profondes et à les partager avec ses semblables. Deux personnes qui s'aiment, par exemple, mais qui ne trouvent pas les moyens de se le dire, risquent de voir dépérir leur amour. Ce principe s'applique à toutes les expériences humaines, y compris à celle, souvent très vague, d'une présence qui dépasse l'être humain.

L'expérience apprend aussi que le dialogue ne va jamais de soi, et qu'il est même souvent contredit, en fait, par le phénomène de la violence. Il importe d'en avoir conscience si l'on veut éviter une vision naïve de la réalité. Cependant, l'épreuve même de la violence ne peut servir d'alibi pour se fermer à l'exigence du dialogue ; elle donne plutôt une raison supplémentaire de choisir celui-ci, en reconnaissant qu'il est déjà, comme tel, une forme de victoire sur la violence.

Lorsqu'une personne fait, d'une manière ou d'une autre, l'expérience d'une présence qui la dépasse, elle est plus ou moins consciente du sens de cette expérience. Selon la situation dans laquelle elle se trouve (son milieu culturel, social, religieux...), la conscience qu'elle a de cette présence sera différente. Le Japonais d'autrefois n'aura pas la même perception qu'un Français d'aujourd'hui, un Égyptien d'il y a quatre millénaires, ou un Indien du XIXeme siècle... Les religions témoignent en tout cas de l'effort que font les hommes de toute époque et de toute culture pour exprimer, en société, leur expérience de Dieu ou de l'Absolu. Cela même offre matière à des formes de dialogue qui aident les croyants à vivre ensemble et à partager, dans le respect mutuel, le meilleur de ce qui les habite.

      2) Le dialogue se fonde plus spécifiquement, pour les chrétiens, sur la révélation du Dieu un et trine
     
Selon la foi chrétienne, Dieu est présent à toute personne dès le premier instant de son existence, donc bien avant qu'elle n'appartienne à une religion ou à une autre. Ce Dieu est le Dieu Trinité qui invite chacun à partager sa vie ; ainsi sommes-nous tous invités à entrer dans le « dialogue » fondamental initié par Dieu lui-même. Au regard de la foi, toute personne est donc structurée par cette présence et cet appel. Sa relation à Dieu se joue dans l'ensemble de sa vie. Elle s'exprime, entre autres, dans la manière de se rapporter à la vérité, à la justice, et aux autres valeurs essentielles de l'existence humaine. Or, dans la mesure où les religions honorent elles-mêmes de telles valeurs, dans la mesure aussi où elles communiquent le sens de l'Absolu et où elles engagent les croyants sur un vrai chemin de progrès-spirituel, elles deviennent alors, pour ceux qui les regardent en chrétiens et les soumettent au discernement nécessaire, autant de fenêtres qui s'ouvrent sur le mystère de Dieu. À ceux qui ont des oreilles pour entendre, elles disent en ce sens quelque chose du mystère de Dieu et de celui de l'homme - quelles que soient par ailleurs leurs différences irréductibles.

Le dialogue s'impose d'autant plus que Jésus lui-même, dans les Évangiles, nous apparaît comme un homme de relation et de dialogue. Certes, il a d'abord conscience de n'être envoyé qu' « aux brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt 15,24). Néanmoins, loin d'être enfermé dans sa particularité, il refuse toute barrière et se montre accueillant à tous ceux qu'il rencontre sur sa route, y compris dans les marges de la société et parmi ceux qui n'appartiennent pas à son peuple. Il est ouvert aux autres de manière inconditionnelle, pour que d'autres à leur tour s'engagent dans cette manière de vivre. Le style relationnel de sa vie - lui-même révélateur de la relation de Dieu avec l'humanité -fonde à son tour l'existence chrétienne comme une existence en relation avec autrui. La révélation de Dieu en Jésus-Christ invite ainsi les chrétiens à entrer en dialogue avec d'autres croyants, de même que, réciproquement, les expériences de rencontres avec autrui aident les chrétiens à approfondir leur foi en un Dieu qui est lui-même relation.

L'Esprit est le lien d'amour qui unit mutuellement le Père et le Fils, et qui, répandu dans le cœur des hommes, éveille en eux la vie même de Dieu. Il est donc en eux principe de relation avec autrui. Il est d'abord donné aux apôtres pour qu'ils puissent annoncer l'Évangile parmi les nations - car l'Évangile est pour tout homme - ; mais cette annonce ne doit pas s'imposer aux autres et exige au contraire que ceux-ci soient pleinement respectés. L'Esprit est la force qui actualise, dans les multiples lieux et temps de l'histoire, le don de soi et l'amour manifestés en Jésus. Il est, en ce sens, au fondement du vrai dialogue, qui est refus de la violence et conversation aimante avec les autres - y compris avec ceux qui ne partagent pas notre foi. Il inspire des paroles et des actes qui, dans la communauté chrétienne comme en dehors d'elle, participent de la sainteté de Dieu. Vatican II disait même de Lui qu'il « offre à tous, d'une manière que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes n. 22).

      3) Enfin, le dialogue est présenté par l'Église catholique comme une exigence fondamentale pour les chrétiens
     
Dans son encyclique Ecclesiam Suam, publiée en 1964, au milieu du Concile, le pape Paul VI a longuement réfléchi sur la notion de dialogue et la place qu'il devrait occuper dans la vie de l'Église. Ses propos sont sans ambiguïté : « l'Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole ; l'Église se fait message ; l'Église se fait conversation » (ES n. 67). Paul VI parle de quatre « cercles concentriques » qui constituent les « aires » du dialogue dans le monde moderne : le cercle de l'humanité (le plus grand), celui des croyants de diverses religions (dont les chrétiens), celui des chrétiens (le dialogue œcuménique), et enfin celui qui se vit à l'intérieur de l'Église catholique.

Les intuitions exprimées dans cette première encyclique sur le dialogue se vérifient, de manière très significative, dans les actes du Concile Vatican II et deviennent ainsi un élément central de la « feuille de route » de l'Église dans « le monde de ce temps ». Les Pères du Concile soulignent l'importance du dialogue dans plusieurs documents dont la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes), la Déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae), le Décret sur l'œcuménisme (Unitatis Redintegratio) et la Déclaration sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes (Nostra Aetate). Les titres mêmes de ces textes font écho aux divers « cercles » de dialogue dont parle Paul VI.

L'exigence du dialogue présuppose qu'il y a, selon Vatican II, des « semences du Verbe » dans les cultures et les religions du monde. Elle présuppose en même temps la présence et l'activité de l'Esprit Saint, non seulement dans des individus, mais aussi dans l'histoire et dans les peuples, les sociétés, les cultures et les religions du monde entier - thème qui sera davantage développé dans l'encyclique Redemptoris Missio de Jean-Paul II (n. 28). Il est vrai que, dans le passé, le christianisme a été trop souvent tenté par l'intolérance sinon la violence (même si nombre de missionnaires ont aussi porté attention aux cultures des peuples qu'ils rencontraient). L'exigence du dialogue implique en tout cas que les chrétiens, tout en confessant Jésus-Christ comme « le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14, 6), se montrent accueillants aux autres croyants et, chaque fois qu'il est possible, puissent entrer en « conversation » avec eux.

Cette exigence du dialogue n'a pas été seulement formulée dans des documents ecclésiaux. Elle a été rendue manifeste à Assise, le 27 octobre 1986, lorsque le Pape Jean-Paul II a pris l'initiative de rassembler les représentants des différentes religions pour une journée de prière pour la paix.

      4) L'Église catholique confirme aujourd'hui son engagement dans le dialogue
     
Il est important d'expliquer aujourd'hui à nos communautés pourquoi et comment le dialogue fait ainsi partie intégrante de l'existence chrétienne. Il s'agit de montrer que, si le concile Vatican II a ouvert la voie à cette attitude de dialogue, il ne l'a pas fait par simple souci d'adaptation aux temps modernes, mais parce qu'il y allait d'une conviction de fond, enracinée dans l'Évangile lui-même.

À ce point de vue, il vaudrait la peine de faire mieux connaître la Déclaration Dignitatis Humanae ; cette Déclaration sur la liberté religieuse a en effet le mérite de montrer comment le Nouveau Testament invite à tenir, du même mouvement, la recherche de la vérité et le respect d'autrui. Si Jésus « a rendu témoignage à la vérité », « il n'a pas voulu l'imposer par la force à ses contradicteurs » ; et, aux origines de l'Église, « ce n'est pas par la contrainte ni par des habiletés indignes de l'Évangile que les disciples du Christ s'employèrent à amener les hommes à confesser le Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la Parole de Dieu » (Dignitatis Humanae, § 11). Sans doute n'est-il pas question ici du dialogue interreligieux comme tel (il serait d'ailleurs anachronique d'attendre des Écritures un enseignement immédiat à ce propos), mais un raisonnement analogue mérite néanmoins d'être tenu : sans rien sacrifier de la recherche de la vérité, il importe de montrer comment l'attitude du dialogue est conforme à la « manière d'être » requise par l'Évangile ; cela vaut de tout dialogue, mais aussi, en particulier, de ce que nous appelons aujourd'hui le dialogue interreligieux. Celui-ci fait donc bien partie, en ce sens, de la mission de l'Église (cf. Redemptoris Missio, n. 55 et 56).

Le Pape Benoît XVI a confirmé cet engagement de l'Église en déclarant aux représentants de la communauté musulmane qu'il recevait à Cologne, le 20 août 2005 : « Nous ne devons pas céder à la peur, ni au pessimisme. Nous devons plutôt cultiver l'optimisme et l'espérance. Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C'est en réalité une nécessité vitale dont dépend en grande partie notre avenir ».

II) Les objectifs et les fruits du dialogue interreligieux

Sur la base de tels fondements, quels sont les objectifs et les fruits du dialogue interreligieux ? On commencera par dire, négativement, qu'ils ne doivent pas être confondus avec ceux de l'œcuménisme intra-chrétien ; on indiquera ensuite la portée du dialogue interreligieux pour la société, avant de préciser les différentes formes du dialogue et ses fruits spécifiques pour les chrétiens eux-mêmes.

      1) Dialogue interreligieux et œcuménisme
     
La rencontre des religions ne doit pas être confondue avec l'œcuménisme. Que différentes traditions religieuses se soient développées dans l'histoire de l'humanité, blessée par le péché, est un fait normal (qui ne dispense d'ailleurs nullement le chrétien de l'effort missionnaire) ; mais que les chrétiens soient divisés entre eux est une situation anormale dont tout chrétien devrait souffrir. Le but de l'œcuménisme est de restaurer l'unité entre les chrétiens, conformément à la volonté du Christ lui-même.
     
L'objectif poursuivi par le dialogue interreligieux, lui, est de favoriser la compréhension et la collaboration entre des personnes et des communautés appartenant à des religions différentes, pour rendre possibles le vivre ensemble et la paix. Il est aussi de faire progresser dans la recherche de Dieu - non point, cependant, par quelque union des religions qui tendrait à les englober dans un ensemble plus large en gommant leurs différences.

Le dialogue interreligieux et l'œcuménisme, même s'ils ne se confondent pas, sont néanmoins indissociables. D'une part, le dialogue des chrétiens en vue de leur propre unité contribue au témoignage qu'ils sont appelés à rendre vis-à-vis des autres croyants. D'autre part, en sens inverse, l'expérience du dialogue interreligieux est à même de rejaillir positivement sur le dialogue oecuménique : elle peut conduire les chrétiens à relativiser certaines de leurs divisions ; elle peut aussi les provoquer à un nouvel approfondissement de la foi qui leur est commune.

      2) La portée du dialogue interreligieux pour la société
     
Il importe de prêter attention à la dimension civique ou citoyenne du dialogue interreligieux (ou des relations interreligieuses).
Nous vivons dans un monde de plus en plus multiculturel et multireligieux, et le processus de mondialisation (globalisation) ne fait qu'accélérer cette diversité, entre autres à cause des flux migratoires et de l'évolution des moyens de communication sociale. Cette situation provoque des tensions dans les pays européens de vieille chrétienté ou de laïcité républicaine. Dans certains pays, on risque de polariser et de durcir ces tensions entre une affirmation identitaire univoque et un communautarisme particulariste.

Or l'Église catholique donne la plus grande importance aux relations entre les personnes comme entre les groupes humains. Certes, la catholicité ne se définit pas simplement par l'universalité (l'Église était «catholique» dès le jour de la Pentecôte), et elle ne saurait se confondre avec le phénomène de la mondialisation. Cependant, dans le contexte de celle-ci, l'Église rappelle avec force que tout homme compte au regard de l'Évangile et que les légitimes diversités ne doivent pas entraver l'ouverture mutuelle et le dialogue entre les peuples.
     
En outre, particulièrement depuis le concile Vatican II, l'engagement des communautés chrétiennes dans l'œcuménisme, l'inculturation et le dialogue interreligieux - désormais inséparables - leur a permis d'acquérir une expertise particulière dans la gestion des différences confessionnelles, culturelles et religieuses et dans la médiation lors de conflits.

L'enjeu est de tenir en tension féconde une identité religieuse reconnue et affirmée, une référence communautaire non particulariste (à l'opposé d'un communautarisme étroit) et la reconnaissance de l'altérité, dans le cadre de la laïcité. C'est là une urgente question de société. L'Église peut ainsi promouvoir des attitudes de respect et d'accueil des différences, non point perçues comme des menaces, mais reconnues comme un enrichissement réciproque. L'expérience de la pastorale des migrants, celle du Dialogue interreligieux monastique (DM), l'engagement de l'Enseignement catholique dans l'éducation à la diversité (particulièrement le réseau euro-méditerranéen de la Fédération internationale des Universités catholiques, FIUC)..., permettent à l'Église d'agir avec d'autres associations et institutions civiles ou religieuses. De cette façon, elle les fait bénéficier de son expérience de la rencontre et de l'accueil, dans la tradition d'Abraham. Les attitudes de respect (au-delà de la tolérance) et d'hospitalité peuvent aider nos contemporains à créer et à entretenir, concrètement, dans le quotidien de la cité, un lien social qui prenne positivement en compte l'inéluctable métissage qui est déjà en cours dans nos sociétés et nos cultures.

L'Église a un rôle privilégié à jouer dans ce processus. Tout d'abord en sensibilisant les catholiques eux-mêmes à la richesse de leur tradition séculaire de respect et d'hospitalité, et en les formant à l'art et à la déontologie de la rencontre. Ensuite, en les encourageant à être présents partout où se construit ce lien social pluriel en dehors duquel ni l'Europe ni le « village planétaire » n'ont chance de se déployer dans l'avenir sans affrontements majeurs.

C'est en ce sens qu'on peut reconnaître une réelle dimension civique à l'engagement de l'Église dans la rencontre ou le dialogue interreligieux.

      3) Les différentes formes de dialogue
     
On distingue quatre formes de dialogue : le dialogue de vie (dans le cadre des relations quotidiennes) ; le dialogue pour promouvoir justice, dignité de l'homme et les autres valeurs qui permettent de vivre ensemble en société ; le dialogue des expériences spirituelles ; le dialogue théologique.

Cette distinction est importante, car tout chrétien est appelé au dialogue, mais selon ses compétences et ses possibilités. D'ailleurs, le dialogue est un engagement ecclésial et c'est en Église que nous pouvons le porter ensemble.

      4) Les fruits des rencontres interreligieuses pour les chrétiens eux-mêmes
     
Pour un chrétien, le christianisme n'est pas simplement une fenêtre de plus qui s'ouvre sur le mystère de Dieu. Le Christ, selon sa foi, est la plénitude de la révélation de Dieu, le don total et définitif que Dieu fait de Lui-même à l'homme. Cette affirmation peut certes donner l'impression que, malgré tout ce qui a été dit plus haut, un chrétien n'a finalement pas grand intérêt à faire l'effort nécessaire pour comprendre ce qui fait vivre les hommes dans les autres religions. Il est d'ailleurs vrai que, pour le christianisme, toute démarche religieuse est soumise au critère de l'Évangile du Christ. Mais il ne faut jamais oublier que le Christ est le Verbe de Dieu et qu'il est, comme le Père et l'Esprit, présent à tout homme depuis toujours. Les autres religions, lorsqu'elles nous parlent de la présence de Dieu à l'homme, importent donc aussi au chrétien dans sa propre expérience de foi.

Cela est bien résumé dans le document Dialogue et annonce : « La plénitude de la vérité reçue en Jésus-Christ ne donne pas au chrétien la garantie qu'il a aussi pleinement assimilé cette vérité. En dernière analyse, la vérité n'est pas une chose que nous possédons, mais une personne par qui nous devons nous laisser posséder. C'est là une entreprise sans fin. Tout en gardant intacte leur identité, les chrétiens doivent être prêts à apprendre et à recevoir des autres et à travers eux les valeurs positives de leurs traditions. Par le dialogue, ils peuvent être conduits à vaincre des préjugés invétérés, à réviser des idées préconçues et même parfois à accepter que la compréhension de leur foi soit purifiée ». (Dialogue et annonce, n. 49)

Certes, l'expérience des rencontres interreligieuses ne peut laisser indemne : elle surprend, elle bouscule, elle fait renoncer à des préjugés que l'on tenait pour des certitudes... Cependant, outre qu'un bon enracinement dans la tradition chrétienne permet de vivre une telle expérience dans la paix, les rencontres interreligieuses offrent à chacun la chance de transformations bénéfiques. À travers elles, le regard des chrétiens sur leurs interlocuteurs peut se modifier dans un sens qu'ils ne prévoyaient pas. Leur regard sur eux-mêmes, aussi, a la chance de se modifier : ils peuvent accéder à une conscience plus juste de leur identité chrétienne. Quoi qu'il en soit de ces transformations, les rencontres auxquelles ils participent - si du moins elles se déroulent dans un climat de confiance et d'amitié - ne peuvent qu'enrichir leur expérience humaine et spirituelle, leur permettant d'être en fin de compte fortifiés dans leur propre chemin de croyants.

III) Les conditions du dialogue

Comme cela a été dit plus haut, le dialogue interreligieux implique que l'on soit suffisamment enraciné dans sa propre tradition. Mais, pour être pratiqué de manière authentique et fructueuse, il présuppose aussi d'autres conditions.

      1) Il est d'abord nécessaire de préciser que le dialogue,contrairement à ce que l'on perçoit souvent à travers ce mot, ne signifie pas de soi « entente » ou « accord »
     
Les craintes actuellement formulées par rapport au dialogue interreligieux viennent pour une part de ce que l'expression « dialoguer avec d'autres croyants » est entendue (implicitement au moins) comme synonyme de l'expression « être d'accord avec d'autres croyants ». Il importe donc de rappeler que dans « dialogue » il y a d'abord « parole » (logos), parole « échangée » : « dialogue » veut simplement dire que l'on parle avec quelqu'un, dans le cadre d'une conversation qui implique certes écoute et respect de l'autre, mais qui appelle aussi notre propre engagement. Il est même essentiel de faire saisir que le dialogue interreligieux bien compris, en même temps qu'il permet de mieux connaître le point de vue des autres croyants, donne aux chrétiens la chance de rendre témoignage à l'Évangile - non point pour imposer leur point de vue aux autres, mais simplement pour être eux-mêmes des interlocuteurs loyaux par rapport à leur propre tradition (de même que les autres croyants doivent également parler honnêtement de leurs traditions respectives). Le dialogue, entendu de cette manière, aide finalement les chrétiens à avancer dans une conscience plus profonde de ce qui les fait vivre et d'en témoigner en présence des autres. Par cette voie encore, il fait partie intégrante de la mission de l'Église.

      2) Ce ne sont pas les religions qui dialoguent entre elles, mais des croyants. Une conséquence de cela est que le dialogue doit être incarné : il faut qu'il y ait une rencontre vraie entre des personnes concrètes, des hommes et des femmes vraiment représentatifs de leur tradition religieuse et de leur communauté

Pour que la rencontre soit vraie et fructueuse, il est nécessaire que ces hommes et ces femmes aient le souci de faire connaissance, et, pour ainsi dire, de s'apprivoiser mutuellement. Cela implique des réunions régulières, qui ne soient pas purement intellectuelles, mais qui soient vraiment humaines et détendues. Et cela demande nécessairement du temps.
     
Les premiers fruits de cet apprentissage de la convivialité seront l'élimination des idées fausses que chacun porte en lui concernant les croyances religieuses des autres, et la diminution de la peur : car la peur naît de l'ignorance, et elle est toujours mauvaise conseillère.

      3) Pour qu'il y ait vraiment rencontre, il faut que chacun ait le courage de dire ce qu 'il croit être vrai, mais sans agressivité
     
Chacun a le devoir et donc le droit de témoigner de sa foi et de ses convictions, mais en respectant celles des autres. Car il n'y a pas de charité sans respect ; et le respect de l'altérité est aussi une condition de la paix.

À noter aussi la différence qui existe entre la tolérance et le respect. Il y a chez celui qui tolère une attitude empreinte de supériorité, une position de « surplomb », qui fait que la personne tolérée n'est pas considérée comme ayant des droits, mais qu'elle mérite d'être excusée ou protégée. Dans l'attitude de respect, au contraire, chacun estime que l'autre a autant de droit que lui, comme personne. On entend parfois dire : « L'erreur n'a pas de droit ». Mais justement, l'erreur n'est pas une personne, c'est une abstraction ; et une personne garde ses droits fondamentaux, même quand elle se trompe.

      4) Le dialogue réclame une juste complémentarité entre l'écoute et la parole
     
Écouter vraiment implique une attitude intérieure faite de réceptivité, d'intérêt et de respect. Il arrive dans certaines réunions académiques qu'on assiste à des monologues successifs : personne n'écoute vraiment les autres, car chacun pense surtout à ce qu'il va dire en attendant son tour... L'écoute nécessite un silence intérieur, qui permet d'accueillir ce que l'autre dit.
     
Quant à la parole, elle doit être empreinte de loyauté, de franchise et d'humilité : c'est à cette condition qu'elle a des chances d'être reçue.
La rencontre interreligieuse ainsi comprise et pratiquée peut alors être source d'enrichissement mutuel pour les participants, et contribuer au progrès de la paix dans la société des hommes.

Article publié par Père François Triquet • Publié le Dimanche 05 avril 2009 - 20h07 • 2755 visites